Le Camp de Boulogne, 2ème partie : la journée d’un voltigeur.

Platines de fusils modèle An XII en faisceau.

Platines de fusils modèle An XII en faisceau.

Le Voltigeur Adolphe WALLET n’a pas existé. Des milliers de Voltigeurs, de Chasseurs, de Grenadiers…
« Adolphe WALLET » ont été des personnes bien réelles. Personnage fictif, il connaît bien des gens, certaines réelles, d’autres imaginaires…
A travers le récit d’une de ses journées au camp de Boulogne, nous souhaitons vous faire comprendre, par l’immersion, ce qu’a été la vie de nos anciens, quand ils s’apprêtaient à envahir la « perfide Albion ».
Par le menu. Certains mots, certaines expressions, sont propres à l’argot militaire français du XIX° siècle. Ils seront expliquées en notes, en fin de texte, après nos bibliographie.

Bienvenue, dans la journée au camp de Boulogne.

Adolphe WALLET n’est pas mécontent aujourd’hui, au sortir de la cabane de torchis qu’il occupe avec sept de ses camarades de régiment. Blanchi à la chaux, le petit édifice s’aligne parfaitement avec les dizaines d’autres qui composent sa rue. Celle-ci a reçu le nom d’un soldat de l’unité, tombé dans les guerres d’Italie. Comme tant d’autres rues, qui clament que quoi qu’il puisse arriver au soldat, le régiment avance toujours. Adolphe est fier d’appartenir au 4° Régiment d’Infanterie Légère. Tous ses collègues en sont fiers. Comme lui, ce sont des enfants du pays. Né à BREQUERECQUE, il a poussé entre bourg, marais et campagne. Il a connu quelques ouvrages de journalier, de manœuvre, ou de garçon de ferme, dernier emploi qui lui sera bien utile, quand il lui faudra s’occuper des animaux de bât de sa Compagnie. Les Gendarmes l’ont trouvé dans une ferme d’ALPRECH, où il travaillait alors. Il avait été heureux de les voir arriver. Il attendait le Conseil de Révision. Il avait été, comme presque toute la population de l’endroit, content de la proclamation du Consulat. Content encore de celle de l’Empire.

Ses camarades l’avaient aimé pour son bon esprit, sa franchise. Ses gradés l’avaient remarqué pour son dévouement, le soin apporté à son habillement, sa bonne volonté à apprendre et ses aptitudes à utiliser ses armes. Il y a deux semaines, il a fini le Peloton d’Elèves Gradés. Il attendra encore la prochaine promotion pour recevoir ses galons de Caporal… en attendant, il fait déjà « faisant fonction » de petit-gradé, et d’aide-Fourrier1.

Un ancien de la campagne d’Italie, un « brave à quatre poils« 2, lui a appris les Lettres, le maniement du briquet3, la façon de commander la troupe en ordre serré. Un ancien de l’Armée de l’Ouest l’a instruit sur le service du « crucifix à ressort »4 Le Fourrier l’a instruit sur la façon de tenir les comptes de l’Unité. Sur tout ce dont un Fourrier doit veiller, et sur les petites douceurs qu’il doit aux soldats, pour leur faciliter la vie : rabiot, faveurs de logement, de reprises dans les uniformes…

Adolphe a le béguin pour Victoire ANSEL, la petite couturière à la suite de la Compagnie. Il sait que le Petit Caporal5 ne peut être vaincu. Dans quelques temps, demain peut-être, les tambours battront la Générale, et on courra se rassembler pour embarquer dans les bateaux à fond plat. On débarquera en Angleterre, et comme les anciens de MARENGO, de LODI et d’ARCOLE lui ont appris, il faudra être sans pitié avec les soldats, et bienveillant à l’égard des civils. Il espère que Victoire pourra venir dans la suite du Régiment, même si les charmes des Anglaises lui sont vantés de toutes parts.

Une bonne part du contentement d’Adolphe vient du fait qu’aujourd’hui, il est au repos ; il était de garde cette nuit sur le quai, près d’une canonnière de la flottille. Tous les quarts d’heures, il devait crier : « -Sentinelle ! Prenez garde ! ». Comme chaque sentinelle sur ce quai, une tous les quinze pas. Et à chaque fois, le matelot de garde, là-haut dans la hune, lui répondait : « -Bon quart ! » en hurlant. Il fallait que ces sommations soient poussées en donnant à sa voix tous les accents farouches et martiaux. Ainsi étaient les consignes.

Avant de prendre la garde la veille, il avait commencé sa journée comme tous les autres jours. Levé à 03 H 00′ du matin, il s’était lavé, puis il avait passé sa culotte bleue et sa chemise de lin blanc. Il avait mis la table, mangé le gruau avec ses amis. S’était un temps intéressé aux comptes de sa Compagnie. Avait nettoyé une fois encore son fusil, avait huilé ses lames. Après avoir enfilé son gilet, il avait revêtu son habit bleu marine. Il s’était ensuite porté sur les rangs pour le rapport de 08 H 00′, complètement harnaché pour la marche ou la guerre. Départ pour une marche de 4 Lieues, qui les avait amenés aux environs du hameau de Wimereux.

Là, en compagnie d’autres régiments de la Division Saint-HILAIRE, du 4° Corps commandé par SOULT, les fantassins s’étaient exercé aux mouvements de bataille ; passer de colonne en ligne, faire des feux de file, se constituer en carré… que d’Hommes ! Que de couleurs ! Adolphe était fier de la tenue de son Régiment, et de sa promptitude à agir. Ce jour-la, étaient présents les soldats de la Brigade MORAND, habillés comme eux. Le seul 10° Régiment Léger pratiquait les mêmes entraînements qu’eux.

La Brigade THIEBAULT ( la sienne ) alignait avec son Régiment le 36° Régiment d’Infanterie de Ligne. Ceux-ci portaient culotte blanche, et tous n’avaient pas encore été équipés, comme la Légère, du Shako6. Nombreux étaient les Fusiliers coiffant encore le bicorne.

La Brigade Waré était là aussi, alignant les 43° et 55° Régiments d’Infanterie de Ligne.

Un escadron de Hussards tiré de la Cavalerie de MARGARON, ceux de FRANCESCHI, chef du 8° Régiment, participait à la manœuvre. Prompts à s’infiltrer entre les compagnies, leur tâche n’était pourtant pas facile. Tout de vert vêtus, ligne écarlate sur le pantalon de cheval, ils avaient tournoyé autour des colonnes, des carrés, et n’avaient pas trouvé de faille. Adolphe n’a pourtant pas de doute : quand ces cavaliers ne retiendront plus ni leurs chevaux, ni leurs coups, la ligne anglaise, éclaboussée et meurtrie par les feux roulants qu’il fera avec ses camarades, pliera, puis rompra.

Manœuvres. Cris. Ordre serré. Fatigue. On s’était arrêté au bout de trois heures de ce travail, pour se reposer et faire la soupe. Courte sieste. Départ pour la marche de retour. 4 Lieues de plus, dans le sens du retour cette fois. Nouveau rapport. Les Capitaines s’inquiètent des effectifs, des éventuels blessés ou malades, du bris de certains matériels, puis donnent les ordres pour la suite de la journée, et pour le lendemain. Ensuite, ils vont discuter entre eux de ce qui est à corriger.

Mais aujourd’hui, c’est repos pour Adolphe. Il va aller faire ses compliments à Victoire, l’assurer de ses bons sentiments. Au retour, ensemble, ils repasseront par la cabane du Camp de Droite. Trois autres Voltigeurs les accompagneront, jusqu’aux rochers sur la plage, au Nord-Ouest de Boulogne. Ils ramasseront des coquillages. Même si les soldats sont bien et régulièrement payés ici, correctement nourris, « améliorer l’ordinaire » peut à l’occasion être une saine activité de plein air.

Après la soupe améliorée du soir, Adolphe raccompagnera Victoire. En revenant au camp, il se replongera dans ses cahiers, ses comptes, et s’efforcera de remplacer les pièces d’équipement, de harnachement et d’uniforme dont ses camarades auront besoin.

Il ne le sait pas encore, décidé qu’il est à aller coucher à Londres… dans quelques semaines, le camp sera levé. Il n’aura pas besoin de bateau pour gagner à marches forcées son prochain lieu d’action… des velléités s’élèvent quelque part, là-bas au centre de l’Europe. Adolphe l’a lu à ses camarades dans le journal : Une nouvelle coalition, fomentée par l’Angleterre, se met en place, qui réunit Autrichiens et Russes. Un beau matin, on partira. En colonnes au pas pressé, une de chaque côté de la route. Tambours rythmeront la marche. Fifres et cornettes joueront lors des pauses…

Adolphe sera avec ses camarades, de ceux qui monteront à l’assaut du plateau de la PRATZEN. Ils chanteront à tue-tête, en courant baïonnettes en avant pour remonter la pente:

« -On va leur percer le flanc…

Ran-tan-plan tirelire-flan…

On va leur percer le flanc…

Ran-tan-plan tirelire-flan…

Le Petit Caporal sera content…

Ran-tan-plan tirelire-flan…

Car c’est de là que dépend…

Le salut de l’Empire ! »

Ils ne s’arrêteront qu’au premier choc. Ils ne chanteront plus lorsque les Grenadiers du Régiment de SMOLENSK tomberont sous leurs coups. A leur droite, ils laisseront leurs camarades du 36° Régiment de Ligne s’occuper du Régiment d’APCHERON. Après avoir à peine repris haleine, ils pourront avec leurs camarades du 24° Régiment Léger, s’attaquer au Régiment de ROTTERMUND. Ils laisseront bien peu de ces Autrichiens de SALZBOURG reculer vers… AUSTERLITZ.

Bientôt, Adolphe dormira peut-être à VIENNE… après avoir fêté la victoire, en songeant à Victoire.

Bibliographie :

– Christophe DYCKES, Au Camp de Boulogne (1801-1811), Mémoire de la Société Académique du Boulonnais, Tome numéro 21, 1999.

– Georges BLOND , La Grande Armée, ed. Robert Laffont, 1982.

– Lilianne & Fred FUNKEN, Les Uniformes et les Armes des Soldats du Premier Empire, CASTERMAN, 1971.

– Webographie : -https://fr.wikipedia.org/wiki/Chouannerie

1 : Le Fourrier est toujours responsable aujourd’hui dans l’Armée Française du logement, du casernement et du couchage des soldats de sa Compagnie. Anciennement, il a aussi été responsable de leur armement.

2 : « Brave à quatre poils » : Argot militaire français du XIX° siècle. Soldat aguerri, qui a fait plusieurs campagnes.

3 : « Sabre-briquet » : Sabre court et courbe, équipant les Fantassins de l’Armée Française au XIX° siècle, et qui servait au corps-à-corps, lorsque la baïonnette ne pouvait être utilisée.

4 : « Crucifix à ressort » : Argot militaire français du XIX° siècle. Signifie « Pistolet ».

5 : Dans la Vieille Garde, il était de tradition après délibération et chaque jour, de donner un grade différent à l’Empereur. Cet usage est resté dans l’Histoire, sous la forme de ce surnom qui n’a rien de péjoratif. Le « Petit Caporal » désigne donc Napoléon.

6 : Coiffure militaire rigide et à visière, le plus souvent de forme tronconique.