Dickens in Boulogne !

Charles Dickens en 1852, daguerréotype d’Antoine Claudet, Library Company of Philadelphia.

Comme beaucoup d’écrivains et d’artistes britanniques, Charles Dickens, The Inimitable, comme le nomment les Anglais, a séjourné, à plusieurs reprises, à Boulogne, mais aussi à Condette, station bien plus sauvage alors, prisée des touristes anglais.

Né en 1912 à Landport, Dickens a connu une jeunesse qui rappelle étrangement celle de certains de ses personnages. L’arrestation, la condamnation et l’incarcération de son père pour dettes constituent sans doute un point de rupture majeur dans une existence jusque là assez privilégiée. Il doit alors travailler dans une fabrique de cirage pour faire face à la ruine de la famille.

David Copperfield, frontispice de la première édition en feuilleton, par Hablot Knight Browne.

De cette période vient sans doute le regard sans concession qu’il porte sur la misère ouvrière, et plus particulièrement sur celles des petits esclaves de la Révolution Industrielle, ceux qui travaillent 15 heures par jour, sont battus et affamés, et envoyés dans les mécanismes des machines, tournant encore, pour les réparer parce qu’eux seuls peuvent s’y glisser comme ailleurs ils rampent au fond des galeries des mines… Certes, Dickens n’est pas un révolutionnaire mais un humaniste, et la misère le révolte.

A 16 ans, cependant, il remonte peu à peu la pente du déclassement dans laquelle le père a précipité toute la famille, et devient clerc de notaire. Il est charmant et sait s’entourer, parler, tenir en haleine des lecteurs de ses feuilletons.

En 1836, âgé de 24 ans, il rencontre son premier succès littéraire, avec la publication des Esquisses de Boz, son pseudonyme, un livre de contes illustré. Il épouse Catherine Hogarth, dont le père est rédacteur de l’Evening Chronicle, et reçoit un excellent accueil critique pour ses Aventures de Mr Pickwick.

Puis vient le temps des grands romans où il brosse le portrait de la jeune société industrielle anglaise, bien loin des fastes et des crinolines victoriennes. Oliver Twist, notamment, paraît en 1838. Et dans David Copperfield, en 1850, c’est bien sa propre enfance qu’il raconte à ses fidèles lecteurs…

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Châteaux des Moulineaux

Le « château des Moulineaux » où Dickens séjourna.

Mais pourquoi Boulogne ? La réponse pourrait sembler évidente, mais elle ne l’est pas. La situation géographique seule, par sa proximité avec Londres, n’explique pas le choix de Dickens.

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En effet, l’écrivain britannique est un grand voyageur, habitué des paquebots et des trains dont les réseaux se propagent peu à peu en Europe, sur les routes de France mais aussi d’Italie, et jusqu’aux États-Unis…

Voyages aux multiples rencontres, qui aiguisent sa plume, lui qui sait donner de la profondeur aux personnages secondaires autant qu’à ceux de premier plan, et où tous jouent un rôle fondamental dans la trame de ses romans. Il sait admirablement mettre en scène les petits et les humbles, aux prises avec un monde utilitariste et tout entier tourné vers le profit, en ces temps de triomphe de l’industrie, dans un monde où, pense-t-il, tous ont de l’importance
En France, il rencontre également des monstres, sacrés de leur vivant, comme Victor Hugo ou Eugène Delacroix.

Mais c’est sur la Côte d’Opale que l’auteur d’Oliver Twist, de David Copperfield, ou des Grandes Espérances, compose notamment Hard Times, les Temps Difficiles. Des pages de Bleak House, par exemple, sont également composées à Boulogne. Dès 1844, comme la majorité des touristes britanniques, il débarque à Boulogne pour un voyage qui doit le mener en Italie, avec sa famille. Il ne fait que passer.

Il séjourne à Boulogne pour la première fois en 1852, pour deux semaines, à l’Hôtel des Bains, puis y revient les deux années suivantes, puis 1856, louant à Ferdinand Beaucourt, un prospère marchand drapier, son « Chateaux des Moulineaux », en réalité une grande villa, qui se trouvait à l’emplacement de l’actuel lycée Mariette, rue Beaurepaire. Une rue Charles Dickens, perpendiculaire à la rue Beaurepaire, ainsi baptisée en 1927, rappelle évidemment ces séjours, bien que la villa ait été rasée.

Le Présent.

Le théâtre Monsigny

Pour son premier séjour à Boulogne, Dickens, qui doit pourtant se reposer d’un épisode de surmenage, est de tous les événements mondains, et outre les bains de mers, se rend passionnément au théâtre, dans les sociétés de bienfaisance…

Rappelons que le nombre de sujets britanniques vivant à Boulogne est considérable, en cette seconde moitié du XIXème siècle.

En observant et en s’impliquant dans cette riche vie boulonnaise, il rédige même une série d’articles, « Our French Watering Place », qu’il publie dans Household Words.

« C’est (La ville de Boulogne) la plus élégante, la plus pittoresque et la meilleure que je connaisse. Les marins et les pêcheurs forment presque une race à part et certains de leurs villages ont le même aspect que ceux qui bordent la Méditerranée. Avec sa promenade sur les remparts qui l’entourent, la haute ville est charmante. Les balades à l’extérieur sont délicieuses. C’est le meilleur mélange de ville et de campagne, avec l’air de la mer par surcroît, que je connaisse ! »

En 1854, l’heure est, en outre, à la préparation de l’Entente Cordiale entre la France et l’Angleterre, qui mènent conjointement la guerre en Crimée. Dickens décrit l’agitation des camps militaires anglais, à Honvault, pas très loin de sa demeure boulonnaise, mais aussi les visites prestigieuses qui se succèdent, comme celles de Napoléon III et du Prince Albert, époux de sa Gracieuse Majesté Victoria, notamment. S’il rentre, à l’automne à Londres, déçu sans doute de l’incendie du théâtre, un de ses lieux de prédilection, mais aussi inquiet d’une épidémie de choléra, ses fils, Alfred et Frank restent à Boulogne au pensionnat.
Et en 1856, de nouveau en vacances à Boulogne, il y écrit, avec Wilkie Collins, The Wreck of the Golden Mary, un conte de Noël. De nouveau, il doit fuir, avec sa famille, une épidémie, de diphtérie, cette fois, qui s’est abattue sur la ville.

Ellen Ternan en 1858.

Lorsqu’il croise la route de la jeune comédienne Ellen Ternan, en 1857, Catherine quitte le toit conjugal et obtient une pension, sans que la nouvelle de la séparation ne s’ébruite vraiment, tout en étant de notoriété publique… Ce sont les charmes discrets de la société victorienne, figée dans des codes moraux qu’on ne peut défier impunément sans s’attirer l’opprobre du beau monde.

Si Dickens est très célèbre de son vivant, par son souci de proximité avec son public et son penchant mondain, il est aussi très secret, par nature et par nécessité. La villégiature française lui permet finalement d’échapper un peu à la notoriété et à la surcharge d’activités qu’il s’impose, entre écriture, engagements dans les œuvres de charité et lectures publiques qu’il affectionne particulièrement. Ce proche exil lui permet de se réfugier, pendant les premiers séjours, dans sa vie de famille, puis lui offre, loin de Londres une intimité qu’il sait impossible en Angleterre, quand son mariage bat de l’aile et qu’il est séparé de son épouse, pour vivre avec une autre femme, de 23 ans sa cadette.

Avec Ellen Ternan, c’est dans un chalet au cœur de la forêt de Condette qu’il entend préserver cette intimité…

Mais Dickens n’est pas seulement « inimitable », il est aussi infatigable, en apparence du moins… S’il poursuit vraisemblablement sa liaison avec Ellen, il continue également de sillonner les routes d’Europe et d’Amérique, donnant partout lecture de ses œuvres.

A St. James Hall, à Londres, il fait son ultime lecture, avant de s’éteindre le 9 juin 1870. Illustration par Harry French, de 1870, des Temps Difficiles, dont une partie fut rédigée à Boulogne.

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