Godefroy de Bouillon – Seconde Partie : Avoué du Saint-Sépulcre !

Godefroy sur les remparts deJérusalem, manuscrit du XIIème siècle.

Ainsi donc, dans la première partie, nous vous contions comment la Croisade des Barons avait prêté un serment d’allégeance à un basileus en qui ses chefs discernaient désormais une duplicité certaine…
En juin 1097, Godefroy et les autres chefs de la Première Croisade, sans avoir pu conduire à son terme le siège de Nicée, qui s’est rendue trop tôt à l’empereur Alexis, reprennent la longue route vers Jérusalem… 

Et pour la première fois de leur long périple, ils peuvent enfin en découdre avec les Turcs seldjoukides… Attaqués par surprise, le 1er juillet 1097, ils triomphent à la bataille de Dorylée, face à l’armée du Sultan de Roum. Kilidj Arslan, celui-là même qui massacra la Croisade des Ribauds, et qui a battu le rappel de l’armée seldjoukide.

Une scène de la bataille de Dorylée, bataille racontée par Raoul de Caen dans sa Geste de Tancrède.

Pris en embuscade dès l’aube, à la hauteur de la cité de Dorylée, l’armée des Normands de Bohémond voit fondre sur elle, des hauteurs environnantes, une multitude ! Le roi normand n’a que le temps de faire mettre sa troupe en cercle pour pouvoir se défendre du harcèlement continuel des archers turcs et arabes. Mais il parvient à envoyer des messagers, pour demander de prompts renforts au reste de la longue colonne des Croisés. En attendant, les Normands ne peuvent compter que sur la force de leurs armures, et sur les femmes du convoi, qui, inlassablement, les encouragent et leur portent de l’eau.
C’est Godefroy qui vole le premier à son secours, suivi d’Hugues de Vermandois, puis de Raymond de Saint-Gilles. Ils prennent les troupes turques à revers, dans un mouvement circulaire, afin de les encercler à leur tour. Alors, Arslan bat en retraite, dans les collines. Les Croisés contre-attaquent, cernant les troupes ennemies de toute part, et coupant leur retraite, provoquant la panique et les désertions massives. La victoire est totale !
La voie de l’immense Anatolie leur est ouverte. Et le butin est juteux : vivres, tentes, et d’étranges bêtes pourvues d’une bosse sur le dos, fort peu connues des « Francs », les dromadaires. En tout cas, pour la première fois depuis les premiers siècles de la conquête musulmane de l’Orient, le rapport de force s’est inversé.. Et la qualité des armures franques y est pour beaucoup…

La traversée de l’Anatolie est un calvaire qu’on imagine aisément. Taraudés par la faim et la soif, c’est avec bonheur que les Croisés sont accueillis en Cilicie par les Arméniens, qui subissent cruellement les assauts des Turcs, tout à la joie de voir arriver chez eux des chevaliers chrétiens.

Enfin, à la fin d’octobre 1097, la Croisade est sur l’Oronte, au Nord de l’actuelle Syrie, et aux portes d’Antioche… Mais les dissensions, au sein du commandement, s’aggravent et ne permettent pas de mettre au point une stratégie cohérente. Raymond privilégie l’assaut, tandis que Godefroy et Bohémond pensent qu’il faut se préparer à un siège long et difficile.

(Prise d’Antioche par les Croisés. Miniature de Jean Colombe tirée des Passages d’outremer de Sébastien Mamerot, XVème siècle.)

Huit mois de siège pour faire tomber la ville ! Huit mois pendant lesquels Godefroy tombe malade… Huit mois de ravitaillement aléatoire, et de famine dont un homme sur sept périt ! Huit mois où 700 chevaux agonisent !

Malgré l’appui des Chrétiens d’Orient, et le secours du Patriarche de Chypre, les Croisés meurent de faim…

Et, parmi eux, Pierre l’Ermite, le prédicateur de la croisade populaire massacrée, tente de fuir, rattrapé par Bohémond, qui démontre ainsi sa lâcheté…

*

Parmi eux, également, le fameux et obscur roi normand, Tafur, rescapé lui aussi de cette croisade décimée, et encore à la tête d’une bande de 10 000 hommes, qui fait rôtir les cadavres des infidèles des villages alentour.
Du haut des remparts d’Antioche, les défenseurs regardent, sidérés, se dérouler des festins anthropophages. Les espions présumés finissent également à la broche !
C’est bien de guerre psychologique dont il s’agit, et de survie également !

 À Maarrat, les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans des marmites, ils fixaient les enfants sur des broches et les dévoraient grillés. ». Raoul de Rouen.

Pendant ce siège, les soupçons des chefs croisés à propos de l’empereur Alexis se confirment. En février 1098, le légat byzantin, le Général Tatizius déserte et s’enfuit à Constantinople, par crainte, sans doute, de finir rôti… Le ravitaillement promis par l’empereur n’arrive toujours pas, en effet !

En mars, un peu d’espoir arrive par la mer. Conduits par Edgar Atheling, des troupes anglaises viennent à la rescousse, apportant de Constantinople du matériel destiné à construire des machines de siège. Mais, sur la route d’Antioche, ils sont attaqués par les troupes turques, et c’est Godefroy qui parvient à récupérer le précieux chargement.
Une ambassade des Fatimides, qui viennent de reprendre aux Turcs un grand nombre de cités, dont Jérusalem, propose même de laisser aux Croisés la Syrie, à condition de ne pas entrer en Palestine ! Pour eux, ces étranges guerriers ne sont que des mercenaires à la solde de Constantinople, et ils ne saisissent pas du tout les desseins et la foi qui les animent. Bien accueillis, les ambassadeurs fatimides repartent néanmoins sans l’accord qu’ils espéraient.

La cité actuelle d’Antioche.

Enfin, les événements se précipitent. Une armée turque de renfort, troupe composée de Perses, d’Arabes et de Turcs, est retardée par Baudouin de Boulogne, qui s’est emparé d’Edesse, mais avance sur Antioche. Il faut prendre la ville ou se préparer à livrer bataille entre deux feux.

Et c’est finalement par une ruse dont Bohémond est l’artisan, que la ville finit par tomber ! A l’intérieur de la ville, un garde arménien, Firouz, a promis d’ouvrir les portes de la cité. Mais, pour activer ce plan, Bohémond exige des autres barons qu’Antioche lui soit donnée ! Malgré leur serment à Alexis de reprendre la ville pour le compte de l’Empire Byzantin, ils acceptent.
Le 2 juin, Bohémond et ses hommes feignent de partir au devant de l’armée turque qui s’avance vers la ville, pour faire demi-tour à la nuit. Le garde, Firouz, ouvre les portes de la Tour des Deux-Soeurs, à Bohémond, à la tête d’une petite troupe.
Rapidement, à l’intérieur des murs, le bruit se répand au sein de la communauté chrétienne, et les Chrétiens orientaux se rangent du côté des Normands. Les Seldjoukides sont débordés, et massacrés… mais également les pauvres Chrétiens d’Orient, que l’habit ne permet pas de distinguer des ennemis !

Antioche est prise ! Mais l’armée turque de renfort, menée par Kerbogha est proche, et il faut à présent la défendre. Le 28 juin, la surprise des Turcs est totale quand ils voient les Croisés sortir d’Antioche, dans une attaque foudroyante. Bohémond est comblé : L’alliance avec le basileus est rompue et il obtient la très riche et très stratégique cité d’Antioche.
Mais, après une épidémie de typhus, qui emporte le légat Adhémar, il faut reprendre la route vers Jérusalem, ce qui n’est si aisé. Les Barons sont avides de possessions. Si Bohémond contrôle désormais Antioche, et Baudouin de Boulogne Edesse, le comte Raymond de Saint-Gilles a jeté son dévolu sur Ma’arrat-al-Numan… L’armée s’impatiente, allant même jusqu’à raser les remparts de Ma’arrat pour forcer Raymond à reprendre la route.
Godefroy ne participe pas à ces querelles incessantes, qui ne sont que le prolongement des guerres féodales en Europe. Il se retire alors, avec ses troupes, chez son frère Baudouin, devenu comte d’Edesse, pour attendre le départ vers Jérusalem.

Emile Signol (1804-1892), La Prise de Jérusalem, Château de Versailles.

Jérusalem, enfin !

Enfin, le 13 janvier 1099, l’armée croisée reprend la route, remontant le cours de l’Oronte. Les villes tombent devant eux, mais il faut encore veiller à ne pas être retardés par les ambitions des uns et des autres.
Trouvant sur leur chemin Beyrouth, Tyr puis Tripoli, puis longeant la côte vers le Sud, ils emportent Jaffa, puis foncent à l’Est, et s’arrêtent à Bethléem, le 6 juin. Encore, les Fatimides tentent encore de négocier, toujours dans l’incompréhension des motivations profondes qui animent les Croisés.

Le lendemain, 7 juin 1099, commence le siège de la Ville Sainte. Devant les remparts de la ville, les « Francs » furent nombreux à pleurer. Qui est arrivé par la route, à Jérusalem, pour enfin en apercevoir les hauts murs comprendra cette émotion… Près de trois ans après son départ, Godefroy, parmi les autres, touche enfin au but. Des 150 000 hommes que comptait l’armée croisée au départ d’Occident, il n’en reste que 15 000.

Mais la ville ne se rend pas. Pourquoi le ferait-elle ? Le siège s’annonce long, une fois de plus et le souvenir d’Antioche est encore douloureux.
Cette fois, le gouverneur fatimide a fait expulser les Chrétiens de la ville, avant le siège, pour éviter la trahison, et le même cauchemar semble vouloir se reproduire. La faim et la soif s’invitent dans le camp croisé. Le premier assaut, le 13 juin, est un cuisant échec. Enfin, grâce aux bateaux génois qui abordent à Jaffa, les assaillants sont ravitaillés, et on va chercher, en Samarie proche, le bois nécessaire à la construction des engins de siège.
Cependant, comme à Antioche, une armée fatimide marche sur eux pour secourir Jérusalem… Il faut à tout prix prendre la ville avant son arrivée. Le 14 juillet 1099, l’assaut est de nouveau lancé, soutenu par trois tours de bois emplies d’hommes…

Godefroy sur les remparts de Jérusalem.

C’est celle de Godefroy qui arrive la première les murs. Deux de ses soldats, Lethold et Engelbert, puis le Béarnais Auger de Membrède, et enfin Godefroy et son frère Eustache, comte de Boulogne, sont les premiers à en sortir, et à pénétrer dans la Ville Sainte, pour en ouvrir les portes à l’armée croisée.

Alors, comme à Antioche, l’enfer se déchaîne sur les habitants de la ville.

*

Les Musulmans sont massacrés, les Juifs enfermés dans les synagogues et brûlés vifs, dans un déchaînement de haine qui dure plus d’une nuit. Le bilan est difficile à établir… 10 000 ? 70 000 ? Les sources arabes ne sont pas plus fiables que les nôtres, puisque leur but est de susciter un regain de haine contre les Croisés et d’appeler au djihad guerrier contre les envahisseurs. Jérusalem est aussi une de leurs villes saintes.
Le comte de Saint-Gilles finit par assurer la population de sa protection, contre la reddition totale et le départ des femmes et enfants, qui partent en convoi jusqu’à Ascalon.

Les sources font de Godefroy un vainqueur magnanime et pieux… Il semble en fait que les poètes de la Croisade considèrent que cette tuerie ne connait aucun responsable parmi les Barons !

« Tandis que tout le peuple chrétien […] faisait un affreux ravage des Sarrasins, le duc Godefroy, s’abstenant de tout massacre, […] dépouilla sa cuirasse et, s’enveloppant d’un vêtement de laine, sortit pieds nus hors des murailles et, suivant l’enceinte extérieure de la ville en toute humilité, rentrant ensuite par la porte qui fait face à la montagne des Oliviers, il alla se présenter devant le sépulcre de notre seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu vivant, versant des larmes, prononçant des prières, chantant des louanges de Dieu et lui rendant grâces pour avoir été jugé digne de voir ce qu’il avait toujours si ardemment désiré. » Albert d’Aix, vers 1100.

Les états latins d’Orient, un siècle après la prise de Jérusalem.

Advocatus Sancti Sepulchri !

Certes, Godefroy, l’un des premiers sur les remparts de la ville, aurait pu prétendre au titre de Roi de Jérusalem… Cependant, ses prouesses au combat n’expliquent pas à elles-seules le choix de le promouvoir à cet honneur.

En retrait des querelles, animé certainement d’une foi véritable, il incarne aussi un compromis nécessaire entre tous ces Barons ambitieux.
D’ailleurs, humblement, et se plaçant de fait sous une autorité religieuse, ce qui est également politiquement habile, il refuse le titre de roi pour accepter celui d’Avoué du Saint-Sépulcre, le défenseur des Lieux Saints et du Tombeau du Christ.

En aucun cas, dit-il, il ne veut une couronne d’or là où le Christ a porté une couronne d’épines…

Mais l’histoire de Godefroy n’est pas encore finie. Vingt jours après la prise de Jérusalem, il doit faire face à l’arrivée de l’armée du vizir fatimide, de 30 000 hommes. Faisant étape à Ascalon, le vizir Al-Afdhal propose une fois de plus la paix à Godefroy… Une fois de plus, les Croisés lui répondent par l’attaque, et le 12 août 1099, l’armée égyptienne est vaincue, laissant sur le champ de bataille près d’un tiers de ses effectifs…

Pendant près d’un an, Godefroy, investi de sa fonction quasi-sacrée, administre Jérusalem, et ce n’est pas un travail de tout repos : discipliner ses vassaux, auxquels il accorde des fiefs, embryons des états latins d’Orient, calmer leurs rivalités ombrageuses, composer avec les religieux, dont le Patriarche de Jérusalem, assurer la subsistance de son peuple et de son armée, réorganiser le commerce, légiférer, ce qu’il fait brillamment en offrant à son royaume un code de lois, les Assises de Jérusalem…

Le 18 juillet 1100, en revenant de Damas, contre laquelle il a lancé une expédition, ce n’est ni une blessure de guerre, ni une maladie exotique qui vient à bout de lui. C’est le poison, semble-t-il, par l’ingestion d’une pomme de cèdre, peut-être, offerte par l’émir de Césarée.

D’Edesse, son jeune frère, Baudouin de Boulogne accourt à la nouvelle, et bien moins scrupuleux, accepte le titre de premier Roi de Jérusalem, sous le nom de Baudouin Ier. Beau destin pour un cadet !
A sa mort, en 1118, le frère aîné, Eustache, rentré de Terre Sainte, refuse de reprendre la couronne de Jérusalem, se contentant de son titre de Comte de Boulogne…

Jérusalem, quant à elle, est reprise aux Croisés, en 1187, moins d’un siècle plus tard, par les troupes du grand Saladin.

Guillaume de Tyr, Histoire d’Outremer. Manuscrit enluminé sur parchemin (300 feuillets, 40 x 30 cm). Paris, 1337, BnF. L’armée de Saladin, sultan d’Égypte et de Syrie, inflige une terrible défaite aux Francs à Hattin en juillet 1187 et reprend Jérusalem en octobre.

Une réflexion sur “Godefroy de Bouillon – Seconde Partie : Avoué du Saint-Sépulcre !

  1. Voici un article qui allie la qualité de l’écriture à l’exactitude historique, ce qui n’est pas un mal à une heure où Google instille son poison dans bien des mémoires. J’ai encore appris des choses. Bravo. Merci.

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